Disque ami : La Guinguette à Pépée, Apaches

Dans le bouillonnement de questions que se pose tout confectionneur d'album discographique de notre époque, deux préoccupations surnagent : "comment être un réel artisan ?" et "comment traduire le sentiment populaire ?". Dans son premier opus enregistré, Apaches, le trio enchanteur de places publiques, La guinguette à Pépée, répond finement avec une gaillarde cordialité, une exemplaire philanthropie. Aux deux questions précédentes, on pourrait ajouter une troisième qui anime les allumés de la pochette : "comment traduire l'esprit d'une musique par sa représentation graphique et visuelle ?".

Apaches est une pochette animée (on dira pop up aujourd'hui) comme celles de Led Zeppelin 3 de Stand up de Jethro Tull, Schools out d'Alice Cooper, sauf que cette pochette n'est ni imprimée en Colombie ou à Hong Kong, mais confectionnée par les mains expertes des trois membres de Pepée. On ouvre en déroulant un fil, on fait tourner de petites cartes postales recto-verso, lever un allégorique caméléon qui rêve devant la lune et soulever une télé art déco qui laisse entrevoir de joviaux bovins. La note est donnée et l'on glissera d'autant plus facilement ses oreilles dans la musique à venir émergeant de ce générateur bric à brac.

Le répertoire se constitue de classiques de jazz, de chansons, de musette, d'airs de Broadway (standards) ou d'opérettes. Suite inattaquable, il emprunte la route enchantée en snobant l'autoroute. Et c'est un permanent régal, une joie continue, un essaim de flammèches aptes à la vie, de déclarations librement sensibles, d'accents familiers truffés de surprises. On est soufflé par le galopant naturel de l'ensemble, la beauté de l'interprétation, la vibration populaire (sans besoin de recherche), l'intelligence des plans sonores (chapeau l'enregistrement ! - tant de gens se triturent l'esprit pour rendre la rue in studio).

Avec Pépée, on rit, on aime, on danse, on chante, on taquine, on vit. Écoutez par exemple la sentimentale version de "Premier Bal", la truculence de "Mexico", les délicatesses de "Petite Fleur" ou de "Temptation", la tendresse de "Jungle fever", le madré "St James Infirmary" pour n'en citer que quelques-unes. Et ça swing, swing swing ! Et puis, perle parmi les perles, on ne se quittera pas sans citer un véritable petit chef-d'œuvre en la version de "Tea for two", la chanson de No, No, Nanette écrite en 1925 par Vincent Youmans et Irving Caesar qui compte pourtant son lot de repreneurs de talent (Dmitri Chostakovich, Fats Waller, Duke Ellington, Tommy Dorsey, Ella Fitzgerald, Frank Sinatra, Nat King Cole, Judy Garland, Louis Armstrong, Doris Day ...). Le "Tea for two" version cha-cha-cha de Pépée est une comédie faisant éclater les reliefs d'une parole vibrante et poétique de l'émotion enfantine indéracinable.

Les trois Apaches de Pépée, Catherine Delaunay, Pascal Van den Heuvel, Sébastien Gariniaux, ont réussi un album qui se confond avec la rue, les salles de bal, les lieux intimes ou ceux de franche rigolade, un manifeste narguant l'imbécilité du monde. Et lorsqu'on a fini de l'écouter, on est pressé de le remettre.



La guinguette à Pépée, Apaches - LGap 5.6

On peut se le procurer ici pour 10€