Disque ami : deVon Russell Gray – Nathan Hanson – Davu Seru, We sick
Dans l’histoire de ce que l’on nomme le jazz, on l’aura largement remarqué, le trio est, triangle équilatéral, une formule à la force de cheval, une devise d’aventure amoureuse, une certaine idée de la recherche du sommet. Bien souvent, il répond à une équation simple : un seul soufflant, on vire le piano et on se retrouve sax, basse, batterie. Il y en a toute une liste… Ou bien on vire les soufflants et on se retrouve piano basse batterie. Il y en a une liste plus longue encore. Mais le trio saxophone, piano, batterie, c’est plus rare et de toute évidence, une idée plus singulière de la quête d’un chemin montueux d’expériences de liberté. Exemples frappants : Lester Young - Nat King Cole - Buddy Rich, Sidney Bechet - Lil Hardin Armstrong - Zutty Singleton, Cecil Taylor – Jimmy Lyons - Sunny Murray, Willem Breuker - Misha Mengelberg - Han Bennink, Tony Coe – Benoît Delbecq – Steve Argüelles, Peter Brötzmann - Fred Van Hove - Han Bennink.
Autre exemple flambant très récent, l’album We sick du trio deVon Russell Gray – Nathan Hanson – Davu Seru. Ici la taille est dans le vif et le vif est de taille ; la musique se découvre sensément impressionnée par le moment, moment suivant le meurtre de George Floyd, moment de l’accélération de la confusion (le temps du coronavirus), moment où la musique, pour survivre, ne peut rejoindre que la matière, celle des êtres en recherche de l’ailleurs humain dans l’intime connaissance de ses moeurs. « Densité » pourrait être le mot clé, le dépassement du nœud en une suite d’apparitions libératrices enhardies, une manière de sculpter le temps pour saisir l’essentielle mobilité, une façon d’embrasser tout l’espace à parcourir en accusant la souffrance. Deux des pièces sont dédiées à Malcolm X, non comme recours historique, ni comme raccourci désespéré, mais bien comme une remise en jeu de la pensée de l’auteur de "The Ballot or the Bullet", une façon de l’envisager dans le terreau du présent tourmenté. Trois musiciens qui livrent un jaillissement d’authenticité (superbement illustré par l’image de couverture de Lara Hanson) sans besoin d’insistance, au cœur de la trame de nos lendemains… touchée du doigt.
• deVon Russell Gray – Nathan Hanson – Davu Seru : We sick (Innova – 2023)