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Article de Nato
 
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Plaidoyer pour le compact disc
(Ha ! Ha ! Vous ne vous y attendiez pas !)



Entendu dans le cadre des données actuelles de la société

L’affaire est d’importance et mérite qu’on s’y attarde. Le Souffle Continu (1), disquaire entré dans la théogonie le jour même de son ouverture le 11 octobre 2008, est devenu, chemin faisant d’écoutes attentives conjuguées à tous les temps, brillant rééditeur d’œuvres d’importance, disparues, oubliées ou incompréhensiblement enfouies dans leurs légendes. Et ces rééditions, au nombre d’une soixantaine, se font généralement sous leur forme initiale en 33 ou 45 tours avec sérieux travail de mastering et notes de pochettes et photographies inédites insérées. La grande qualité. Cela vaut pour quelques enregistrements inédits tels ceux de Jean-Jacques Birgé (2) ou Jean-François Pauvros (3). C’est au moment où certaines maisons de disques, s’ébrouant dans nos chères marges, décident à l’occasion de ne réaliser leurs albums qu’en 33 tours seulement (aujourd’hui, on dit plus aisément « vinyle »), que le temple du 20 rue Gerbier à Paris publie en compact disc (et seulement en compact disc) Perception Live at Le Stadium, un enregistrement jamais publié du fameux concert du non moins fameux groupe de free jazz français Perception, le 17 juin 1977 (4). Pour cette troisième mouture du groupe, Jacques Thollot tenait la batterie aux côtés des fondateurs Jeff « Yochk’o » Seffer, Didier Levallet et Siegfried Kessler. Un de ces concerts gravés dans les mémoires longtemps avant qu’il ne surgisse physiquement enregistré. Et l’objet est ravissant, notes précises de Didier Levallet (infaillible en la matière), peintures de Yochk’o Seffer, le tout très joliment maquetté. Ce Live at Le Stadium sortant chez les maîtres de la réédition « vinyle » affiche une valeur manifeste. L’objet est juste (5).

Certes l’arrivée – le forcing – du compact disc fin des années 80 ne fut guère glorieux et les colonnes des Allumés du Jazz l’ont largement relaté et discuté, notamment dans l’article très documenté d’Olivier Gasnier « Crise du disque, mort du CD, pourquoi tant de haine ? » dans le n°20 de ce journal (4e trimestre 2007). Ce même article décrit également comment les mêmes promoteurs de la marche forcée vers le CD l’abandonnaient aussi soudainement comme une vieille chaussette sans surprise. Le ressentiment fut grand et, en grande partie grâce aux DJ’s qui avaient transformé les tourne-disques en instrument de musique, le 33 tours revint à la mode à l’exact moment de ce qu’il est convenu d’appeler la dématérialisation – mais qui n’est autre qu’une rematérialisation. Une sorte de vengeance à retardement, guidée par une certaine impression de vide abyssal face à une autre marche forcée, cette fois d’un tout autre type, une réelle invasion cybermilitaire, ouvrait les armoires à chouchous et doudous de vinyles. Très touchant et en partie enthousiasmant. Seulement voilà, l’objet d’écoute et sa grande pochette sont devenus des accessoires un peu trop hip, un peu trop gadget et l’on voit les bacs encombrés d’à peu près tout et n’importe quoi (sont même vendus des cadres pour mettre les pochettes sur les murs du salon). Tout est bon pour une fois encore labourer le domaine public, l’affubler de quelques attraits bétassons (séries « photographes historiques » par exemple, histoire d’avoir Kind of Blue et autres classiques dévastés avec une autre couverture). Il est bon de se pâmer devant le son du 33 tours lorsque celui-ci est dans 98 % des cas un son de provenance numérique (et ça peut être bien fait) quand ce n’est pas la simple copie d’un CD sur vinyle. Rudy Van Gelder (6), qu’on n’accusera pas de n’y rien connaître et qui avait superbement remasterisé ses enregistrements Blue Note, éclatait de rire lorsqu’on abordait le sujet. Effectivement dans son cas, après les catastrophiques masterings des premières versions CDs (et leurs livrets torchés) de classiques qu’il avait enregistré dans les années 50-60, il les masterisa ensuite lui-même (séries Rudy Van Gelder Editions) d’une impressionnante façon dépassant la qualité des 33 tours originaux. On comprendra parfaitement l’envie de retrouver l’objet d’origine, c’est très humain, à condition de ne pas transformer cette origine en mascarade nostalgique. Même Monsieur et Madame de la Jambonière sont heureux d’exhiber leur petite collection de vinyles qu’ils écouteront bien rarement en les positionnant sur la cheminée de leur cossue demeure provinciale. Leurs amis adorent !!!

Produire un 33 tours est très intéressant et cette pensée a guidé une partie capitale de la création musicale en studio. Tout, dans le monde, a (avait ?) deux faces et il y avait là une manière assez idéale de le transcrire in musica. Mais, le compact disc a, après son démarrage bien pénible, permis avec une sorte de passage possible en scope de comprendre une autre manière d’inscrire la musique dans le temps, une façon – d’une seule face certes –, qui pouvait receler un regard à deux dimensions (format plus petit, écoute possiblement plus longue – on peut aimer le cinéma de Jean Vigo et celui d’Orson Welles, la tapisserie de l’Apocalypse à Angers et celle de Bayeux). Passée l’imbécillité de la hype compactée (Monsieur et Madame de la Jambonière avait à cette époque une petite collection de CDs), l’esprit créatif a su s’emparer de ce moyen, les livrets sont devenus intelligents – certes de plus petit format (mais qui dit que tout doit être grand ?) – proposant un esprit de nouvelles ou de bandes dessinées.

Alors oui, on ne fait pas indifféremment un CD ou un vinyle (pour revenir au Souffle Continu, les trois premiers Perception sont réédités en vinyle – précision conforme – et l’inédit est édité en CD – assurément la meilleure façon de transmettre ce moment particulier). D’ailleurs, comme on a pu mettre les contenus de 78 tours sur des 33 tours, l’inverse n’aurait pas eu de sens. De la même manière si l’on peut transférer avec un certain succès un album 33 tours sur un CD (avec quelques aménagements : livret développé par exemple, mais sans cohorte de bonus inutiles), l’inverse ne marche pas trop bien. Il est des classiques originellement publiés en CD que l’on recase en vinyles doubles ou même triples alors que l’intention d’un double album revêt une idée bien particulière : Exile on main Street, Electric Ladyland, Le Double Blanc d’un groupe de Liverpool, Bitches Brew. Le Miles Davis des années 70, avec une certaine insistance, a affirmé la façon double parfaitement adaptée à ses désirs d’époque, dire que le monde avait à ce moment-là plus de deux faces par exemple.

On peut donc penser de la musique pour un vinyle, pour un CD, pour une K7, mais on ne peut pas, disons raisonnablement, faire ce choix sans penser à la meilleure adéquation possible. Et si le choix est double (mettons « je veux faire un vinyle et un CD »), alors la pensée « artistique » (« politique » ?) doit être double comme la confection de certains costumes. Le choix par mode interchangeable (« Tiens, je ferais bien un vinyle ! ») pousse la musique vers la banalisation d’objets de consommation au lieu de lui conférer la meilleure précision de pensée. Les cinéastes choisissent le 16 mm ou le 35 mm, décident la couleur ou le noir et blanc ou bien le cinémascope en fonction d’un rendu, d’une idée, d’une manière de voir et d’être regardé. Eh bien, les choix relatifs aux supports physiques CD, K7 ou 33 tours (15, 25 ou 30 cm) ne sont pas des choix de mode, mais des types d’écoute, des façons d’être écouté. Le CD a su devenir un format des plus intéressants, très adapté à une pensée moins binaire que celle qui préside au 33 tours.

Se défaire d’une solidarité CD/LP/K7 est à plus ou moins cours terme livrer l’intégralité de la musique à des forces dévorantes qui l’aplatiront au niveau le plus anonyme, le plus déshumanisé. Une certaine reconsidération est nécessaire, faisant fi des vieux ressentiments d’il y a trente ans.

Enfin, contrairement à ce que la méga industrie de la dématérialisation (aux comptes bancaires très matériels) a voulu faire croire, les CDs restent écologiquement moins dommageables que le dévastateur streaming qui n’en est qu’au début de sa dévastation (7). Là, comme ailleurs, il sera donc nécessaire de savoir ce qu’on y met et rejeter l’idée (encouragée aujourd’hui par certains « dispositifs » institutionnels autant que par trop d’organisateurs de concerts) que le CD serait une carte de visite ! NON ! S’il n’est nul besoin de vendre des millions de disques, il n’est également aucun besoin de confondre expression et carte d’identité pour quelques exemplaires de plus à destination de ces quelques organisateurs qui ne les écouteront pas toujours. Il existe d’autres moyens de repérer les talents sans les contraindre à faire œuvre immédiate.

Le CD est un moyen fort – il a fallu du temps pour l’apprivoiser – de présentation et de partage de la musique lorsqu’elle entend encore faire partie du récit du monde et n’en être pas le rejet.


(1) Et l’on peut comprendre page 19 l’affection et l’intérêt portés à cet établissement.
(2) Birgé - Gorgé : Avant Toute (Souffle Continu - 2016).
(3) Jean-François Pauvros & Gaby Bizien : Pays noir (Souffle Continu - 2017).
(4) Jean-Paul Gambier y fait référence page 15 du présent numéro.
(5) Deux fameux disques d’origine Saravah (1971 et 1970) : Un beau matin d’Areski et l’unique album du Baroque Jazz Trio (augmenté des titres de son single « Orientasie » / « Largo ») ont été conjointement réédités par le Souffle Continu en CD et en vinyle.
(6) (1924-2016) Ingénieur parmi les plus importants de l’histoire de la musique, responsable de la fixation de centaines d’albums de premier plan tels ceux de John Coltrane, Sonny Rollins, Bill Evans. Lié aux compagnies Prestige, Blue Note, Impulse, Verve.
(7) « Numérique l’envers du décor » in Aux ronds-points des Allumés du Jazz (voir page 26). ">