Disque ami : Kristen Noguès, John Surman, Diariou
   
 

Il y a quelques lunes, lors d’un amical repas en un village près de la frontière espagnole, une femme se leva et chanta une chanson d’Annkrist. Elle y mit tout son cœur et l’émotion saisit la salle ignorante de la provenance de cette mélodie. L’oubli est une obscénité de l’existence et les retrouvailles un de ses flamboiements. Dans le premier album d’Annkrist, en 1975, aux côtés des basses et violons de Melaine Favenec et Gérard Delahaye, résonnaient aussi la harpe et le plastérion de Kristen Noguès. Le disque était publié par la coopérative Névénoë, laquelle éditait un an plus tard le très beau Marc'h Gouez, première pleine signature discographique de Kristen Noguès. Kristen chante, Kristen joue de la harpe celtique, en belle compagnie dans un disque où tout se cristallise en équilibre vivant. Il y en aura d’autres. La tradition est une novation. Un voyage… jusqu’à la disparition de la musicienne en 2007. Grâce à Logodennig – 1952/2007, double album documentaire, énoncé d’une vie aux multiples rencontres, réalisé par Jacques Pellen et Jacky Molard, paru chez Innacor en 2008, l’absente ne cesse d’être présente (frappante, la photographie de couverture par Bertrand Dupont qui a assuré le suivi de production). Le chant est une destinée. « Prélude aux amants de pierre », en empreinte définitive, ouvre l’album, suivi de l’extraordinaire musique infinie créée (avec Jacques Pellen, Jacky et Patrick Molard) pour accompagner le film de Jean Epstein, Finis Terrae. Musique de bout du monde et de tous ses après. Les compagnons sont nombre. « Diriaou » pièce jouée en duo avec John Surman appelle une suite. Jeudi en breton. Le jeudi est un jour de création des anges, dit-on dans certaines croyances.

Si Logodennig est le bout du monde, du monde comme on peut le rêver, comme on peut l’arpenter, de toutes ses histoires et ses géographies, Diriaou, album inédit du duo Kristen Noguès et John Surman sortant ces jours-ci, ces jeudis-ci, ces jours des anges-ci, au bien nommé (on ne se lasse pas de le dire) Souffle Continu, est le retransmetteur d’une quête inépuisable. Enregistrés en quatre lieux du 2 au 5 juillet 1998 par Tangy Ledoré (et restaurés par Ben Surman), dix titres joués à hauteur d'étoile. Les saxophones soprano et baryton et la clarinette basse de John Surman se lient à la harpe par le mouvement, métaphore de l'initiation poétique à la rencontre de l’autre. La grâce des images libres frémit dans le miroir des souvenirs (Kristen Noguès chante aussi un peu). Lorsque se glisse « Le Scorff », titre empruntant au traditionnel (pour reprendre les notes de pochette), dans le miroitement des sens fugitifs, se croisent le temps et l’espace. On ne peut jamais s’absenter très longtemps. En profondeur, l’imagination est la source de l’éthique, celle des énigmes précieuses. Sur la couverture, une photographie de Guy Le Querrec : de l’autre côté des pierres, comme un prélude à l’horizon. Remarquablement construit, Diriaou, chante, à travers son corps même, les possibilités d’amour… contre l’oubli.

1) Réédité par Souffle Continu en 2023.
2) Bassiste de François Tusques in Après La marée noire – Le chant du monde 1979, réédition Souffle Continu 2025.


Kristen Noguès, John Surman : Diriaou – CD et LP, Souffle Continu, 2025
 
 
 
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