Disque ami : Jean-Jacques Birgé, Animal Opéra

Le lapin est un mammifère rongeur (spécifiquement dit lagomorphe) fortement fertile. Il fut d’abord appelé connil ou connin (du latin cuniculus) avant d’adopter (selon les versions) un dérivé du latin leporellus, de l’ancien français lapriel, du verbe « laper ». La raison de ce changement au XVIIe siècle réside en grande partie dans l’utilisation de l’ancien nom pour toutes sortes de jeux de mots réputés obscènes. De la même façon, à la même époque, en Angleterre, « conney » devient « rabbit ».

Mais les métaphores licencieuses ont suivi l’animal. Une lapine au XVIIe siècle est une femme féconde, alors qu’un lapin au même siècle plus tard est un homme gaillard (hum ! hum !). Fin du XIXe siècle, pour le gaillard trop gaillard, « chaud lapin » remplace « chaud de la pince ». Pendant le même siècle, on peut « courir comme un lapin », « poser un lapin » (qui se substitue, par extension dégenrée, à « faire cadeau d’un lapin à une fille » en signifiant « manquer un rendez-vous sans prévenir »). Plus brutalement, on meurt par « le coup du lapin » (un coup d’assommoir derrière la tête).

Le lapinisme (qui vient de « lapiner » au XVIIIe) ne nécessite pas de gravir les Alpes où le lapin nain vit de blanche neige. Mâles et femelles sont de constitutions physiques semblables. Ces herbivores creusent des terriers et leurs petits naissent nus et aveugles avant d’acquérir joli pelage et vue perçante et se dépatouiller tout seuls. Quelques lapins célèbres ont marqué la littérature et le cinéma : celui « en retard, toujours en retard » de Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles, Oswald le lapin malchanceux qui précéda Mickey (créé par Ub Iwerks) chez Disney, Roger Rabbit, Bibi Lapin, Coco Lapin, Lapinot, le lapin au citron du Génie des alpages (de F’murr) et le plus célèbre, le plus inventif d’entre eux, neveu adoptif de Groucho Marx, capable de rire comme un pivert, narguant le chasseur d’un « What’s up doc? », apte à danser avec Jack Carson et Doris Day (My Dream Is Yours au titre français - lapinisé ? - Il y a de l'amour dans l'air) : Bugs Bunny (créé par Ben Hardaway, Chuck Jones, Tex Avery et définitivement par Bob Clampett). Premier indice pour la suite : dans les versions françaises des dessins animés, Bugs Bunny a la voix de Guy Piérauld, lequel est l’un des invités d’Un Drame Musical Instantané en 1987 pour L'hallali (disques Grrr).

Jean-Jacques Birgé, ami des animaux bien connu, a réuni, en 2006, avec son ami Antoine Schmitt, un impressionnant grand orchestre de 100 lapins (paternité : Olivier Mevel). On imagine ce qu’a pu être le casting d’une telle entreprise. En cette compagnie (non commanditée par le ministère de la cunniculture), ils ont enregistré à Lille (2010), à Saint-Médard-en-Jalles (2009). Au Pérou en 2024, les lapins laissèrent place à d’autres animaux de la forêt amazonienne pour ce qui sera, dans l’album Animal Opéra, un large entracte entre les deux pièces intégralement lapines intitulées “Nabaz’mob”. Une sorte d’entracte amazonique du ballet Nabaz’mob, dont une qualité appréciable est de nous faire réaliser les parties de saute-mouton entre les frontières de l’invention humaine et celles de la nature. Animal Opéra est une aventure domestique qui nous rappelle, de délicate insistance, la puissance de l’extérieur. Avec Birgé, les lapins ont ajusté leurs glapissements et couinements pour suivre sa partition tour à tour inquiétante de tranquillités (mystères à cache-cache) et tranquille d’inquiétudes en devenir. Ils semblent murmurer que le quotidien ne sera plus jamais serein ou gazouillent comme pour nous dire de mieux sentir les difficultés immédiates.

Entre 2006 et 2024, la technologie nous a joué bien des tours pour aller jusqu’à nous jouer tout entiers. Avec Animal Opéra, les chants de la lisière de la forêt amazonienne sont là pour nous le rappeler, avant qu’on ne se replonge dans ce cunnichoeur et ses occasionnelles et malignes insubordinations, faussement répétitives, créant une attrayante suite d’où nous devrons saisir nos repères. Sous vos clapissements, mesdames, messieurs…



Jean-Jacques Birgé : Animal Opéra – Grrr (2024)