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Disque ami : Jacques Di Donato, Christian Maes, Aou |
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Lorsqu’on retire le disque Aou de Jacques Di Donato et Christian Maes de sa pochette, on découvre, imprimée, une citation d’Élisée Reclus extraite de « Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes »1, un article qu’il publia en 1866 : « Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servitude s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort. » En lisant ce texte du si lucide géographe anarchiste, auteur de L’homme et la terre, qui savait remettre le « progrès » à sa place (ses variations de « régrès »), qui avait tant averti, par ses textes et livres comme par ses actions (à la Société de géographie, en Angleterre, aux États-Unis pendant la guerre de Sécession ou pendant la Commune de Paris où il a joué un rôle important), de la catastrophe écologique provoquée par le capital : on regarde les lignes précédentes : « La question de savoir ce qui dans l’œuvre de l’homme sert à embellir ou bien contribue à dégrader la nature extérieure peut sembler futile à des esprits soi-disant positifs : elle n’en a pas moins une importance de premier ordre. Les développements de l’humanité se lient de la manière la plus intime avec la nature environnante. Une harmonie secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir. ». Et puis, fort de ces avertissements qu’il aurait été bon d’entendre en temps, on écoute la musique désireuse de s’y relier.
Jacques Di Donato y joue des clarinettes, des pianos acoustique et électrique, de la batterie et Christian Maes des accordéons acoustique et électrique ainsi que quelques accessoires. Ça et là, sur quatre des dix titres qui composent l’ensemble, quelques camarades les rejoignent : Isabelle Duthoit chantant, Fabrice Charles au trombone, Nicolas Nageotte au duduk ou au saxophone baryton et Franz Hautzinger à la trompette. Mais d’abord, ce sont des oiseaux qui nous conduisent dans cette cadence terrestre, ce « ruisseau qui s’enfuit »2. Dix nouvelles d’impressions intimes, de profusion de routes, d’adjointes harmonies parcourues par un frisson qui de part en part livrent rythmes, textures, mélodies, en ombres portées éclairant cette poésie non disparue. En un objet dégagé de toute saturation, la musique trace la silhouette conjuguée du monde espéré et du monde redouté, elle offre quantité de points de vue, de points d’écoute inspirés, qui nous mènent conjointement vers une sorte de plénitude distraite par un monde de minéraux, de végétaux, de peuples, et autres formes de beautés. Le panorama va de pair avec ce qui l’assombrit : le morceau intitulé « 15 mars 2020 » par exemple, date de l’arrêté ministériel prescrivant qu’ « il y a lieu de fermer [les lieux] qui ne sont pas indispensables à la vie de la Nation tels que les cinémas, bars ou discothèques ; qu'il en va de même des commerces à l'exception de ceux présentant un caractère indispensable comme les commerces alimentaires, pharmacies, banques, stations-services ou de distribution de la presse ». Arrêté qui décrète « la routine et la servitude » comme un fait établi. Alors, oui « Aou, aou », cri bien connu des fervents de la rue comme bloc balanstiquant des jets de rêves contre la catastrophe, dans le morceau titre joué en un cycle qu’on aimerait qu’il ne finisse jamais tant que la beauté de la terre sera condamnée à l’extinction. Beauté si épatamment mise en perspective dans l’album sans étiquette, Aou, de Jacques Di Donato et Christian Maes.
1- La revue des deux mondes, 15 mai 1866
2- Histoire d’un ruisseau, Élisée Reclus - 1869
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Jacques Di Donato, Christian Maes : Aou (CD sans label - 2021)
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