Disque ami : Janick Martin Trio, Sông Song
   
 

« À la fin, un crépuscule continuel enveloppa la terre, un crépuscule que rompait seulement de temps en temps le flamboiement d'une comète. »
HG Wells, La machine à explorer le temps

Les musiques du monde ? On n’a jamais très bien compris ce que cela signifiait. Réduction de l’éloge de l’insolite ? Allusions des alluvions ? En rêvant profondément, en un mouvement discrètement ample apparaît plus certainement la musique des mondes. Janick Martin, on le sait accordéoniste-brandon, a formé un trio avec le guitariste Jack Tual et le tromboniste Simon Latouche. Latitude, longitude, le tracé géographique et historique suit le cours des rivières (on verra le Kurdistan) et s’ancre dans la chorémanie de Strasbourg le 14 juillet 1518 (le 14 juillet !). Frau Toffea s’était mise à danser, insensible aux supplications de son mari l’implorant de cesser, elle entraina 50 danseurs et, neuf jours plus tard, le 25 juillet, c’était 400 personnes qui dansaient. Les autorités, médusées, voulurent soigner « le mal par le mal » en payant des musiciens professionnels en un espace réservé et ce ne fut que pis. Le diable avait de la gueule et Saint Guy n’y était pour rien pas plus que les morsures d’araignées.(1)

Avec Janick Martin, c’est le papillon qui mord, et pour l’occasion se joint au trio, le saxophone ailé de Robin Fincker. Dans l’espace de cette musique des mondes, du recueil des alluvions étourdissantes (celles d’un blue lagoon dans le sud-ouest, celles charriées le long du Mississippi révélées par les aboiements d’un chien noir – nous y sommes sensibles), éclate le mouvement ample d’une commune présence échafaudée en aspiration, une conduite en éminences amoureuses.

Le trio de Janick Martin INVENTE (non, non, il ne réinvente pas comme tout le monde de nos jours), il connaît son inventaire de doigts et d’âme et, miracle ou tour de passe-passe choréman, condense en un instant le souvenir pour faire d'une lueur blessée, une ataraxie. Tenez, par exemple avec ce trio à l’instrumentation inattendue qui se moque de la tournure autant que du détournement, la si souvent accablante idée du chorus est rendue possible, libérée de tout infernal poids historique qu'on ne saurait plus comment contourner. Bang ! Bang ! Janick Martin, Jack Tual, Simon Latouche et, pour deux morceaux, leur compagnon Robin Fincker, fureteurs de la nature des choses, en un flamboiement de comète, jouent, d'une détente affranchie, ce qui pourrait être la seule question qui vaille : Sommes-nous le présent ?

(1) « Au total, une vingtaine d'épisodes comparables ont été rapportés entre 1200 et 1600. Le dernier serait survenu à Madagascar, en 1863. Une variante, le tarentisme, a aussi été décrite en Italie : la maladie survenait après une hypothétique morsure de l'araignée Lycosa tarentula, et la danse (tarentelle) faisait partie intégrante du traitement. » Sandrine Cabut, citant le livre de Paul Weller, The Dancing Plague (éditions Sourcebooks) in Le Monde, 28 juillet 2014


 
Janick Martin trio, Sông Song, le Grand Pas – Coop Breizh, 2024
 
 
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